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Adextre

Dieu est mort, vivent les dieux !

C’était l’hiver. Un reste de neige marbrait les pelouses du bois ; parfois, nos semelles glissaient sur la glace, qui couvrait comme un linceul des sections du chemin.

Les jours qui s’annonçaient étaient décisifs. Il était question de vie et de mort, et les événements s’apprêtaient à trancher entre l’une ou l’autre.

Ce samedi, nous suivions un itinéraire familier qui longeait un ruisseau quand soudain, à notre gauche, ma sœur vit une corneille qui gisait sur l’herbe gelée d’un talus.

— Regardez !

L’oiseau reposait dignement sur son flanc droit, raide. Ses ailes étaient parfaitement disposées le long de son corps au plumage profond, sans blessure apparente. On aurait dit que quelqu’un l’avait posé là.

— C’est la première fois que je vois un corbeau mort.
— Moi aussi. En plus il est intact. Pas un animal n’est venu le bouffer, un rat ou un renard par exemple, alors qu’il y en a qui traînent ici.

Nous continuâmes notre promenade et nous en restâmes là.


Le lendemain, je vis L’Iliade qui trônait encore sur notre table basse. Alors je m’interrogeai : qu’auraient pensé les Grecs devant cet oiseau ? Y auraient-ils vu un présage d’Apollon « à l’arc magnifique » ? Qu’aurait dit le fameux Calchas ?

« […] Calchas […],
le Thestoride, de loin le meilleur interprète d’oracles,
qui connaissait les choses qui sont, qui seront et qui furent,
l’homme qui sut conduire en Troade la flotte achéenne
grâce au don qu’il reçut d’Apollon, le pouvoir de voyance. »

L’Iliade, Homère, traduction de Philippe Brunet, Points, 2012, chant 1, vers 68 à 72.

Le message me parut évident : cet oiseau noir, prédateur et charognard, retors, porteur de mort, avait été terrassé. Un dieu nous faisait savoir qu’il avait débarrassé notre chemin de la mort et que nous pouvions poursuivre notre route, ensemble, sans laisser personne derrière nous.

Pouvait-il y avoir plus beau signe d’espoir ?


La mythologie grecque n’est peut-être qu’un mensonge, mais c’est le plus beau de tous. Elle donne au monde une poésie que la science et les grandes religions actuelles ne parviennent pas à égaler. Chaque jour est un poème introduit par Aurore « doigts-de-rose », qui ouvre les portes du ciel à son frère Hélios.

Étrangement, ces fables résonnent dans mon corps, où coule un sang catholique pulsé par un cœur incroyant. Peut-être parce qu’elles apportent une réponse divertissante aux questions vaines de l’existence.

J’aime l’idée selon laquelle des dieux, émanations de l’inexplicable, joueraient chacun leur rôle dans les événements de la vie, au gré de leurs ententes et de leurs disputes. Le terrible hasard n’existerait plus.

« Dieu est mort », écrivait Friedrich Nietzsche ; que vivent les dieux ! Que renaisse une nouvelle forme de culte grec ! Si Apollon est capable de répandre la peste avec ses flèches parmi « la foule achéenne », il peut bien anéantir le cancer.

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